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Entre Les Pages rencontre BIC

L’artiste BIC, compositeur, rappeur-slameur, est un enfant de la poésie. Il vénère les mots et supporte à cœur ouvert les textes qui prônent la positivité. Il rêve d’un jour en Haïti où les styles musicaux entraînants, se distanceront des messages dégradants ou violents.


Entretien avec BIC, Tizon Dife
Par Jean Reynald SAINT-HUBERT et Jefferson FABIEN


On ignore quelle victoire l’artiste voulait célébrer, toutefois, il en portait la couleur. Ce samedi 13 mai 2017, tout de rouge vêtu et chaussé de Timberland, le célèbre chanteur Roosevelt SAILLANT, dit BIC, était reçu par Entre Les Pages dans les bureaux de l’Alliance Française du Cap-Haïtien. La star était invitée dans le Nord du pays dans le cadre de la semaine de l’Europe, une activité consacrée entièrement à l’Union Européenne et de ses réalisations en Haïti. Quelques minutes avant d’aller faire bouger le public capois, BIC répondait à quelques questions…

ENTRE LES PAGES : Vous avez été invité au Cap-Haïtien pour la semaine de l’Europe, quelles sont vos relations avec l’Union Européenne ?

BIC :   Comme je le dis souvent, un artiste n’a pas de patrie. Quand on chante, c’est pour le monde entier. L’artiste est un être universel. J’ai souvent eu de bonnes relations avec les Organisations Internationales. Vous n’ignorez sûrement pas qu’en Haïti il y a trois grands ambassadeurs de la francophonie : Bélo, Jean Jean Roosevelt et moi-même. Il y a deux ans de cela, en 2015, pour cette même occasion, la semaine de l’Europe, j’ai donné une belle prestation à Port-au-Prince. Nous étions donc convenus qu’une telle expérience devrait non seulement être renouvelée mais encore plus étendue.  Donc, en plus de la prestation à la capitale, je suis là aussi ce soir, pour gratifier le public capois d’une belle performance.

ELP : Vous venez souvent performer dans le Nord ?

BIC : Bien sûr. Je suis là très souvent. Quelques semaines plutôt, le 1er mai dernier, j’étais à la foire annuelle de l’Université Chrétienne du Nord d’Haïti, dans la commune de Limbé.

ELP : Il y a quelques années, vous avez publié un livre : « Le Champ Magne BIC », une transcription des paroles de vos meilleures chansons. Dans plusieurs de vos textes, vous faites souvent référence à la poésie. Avez-vous une relation particulière avec la poésie ou la littérature ?

BIC : La poésie c’est la force même de BIC. C’est ce qui fait la décantation entre lui et Roosevelt Saillant. Ma vie est une vie de poésie. Mes meilleurs amis ce sont les mots. Je vis et travaille avec eux. C’est à eux que je confesse mes problèmes et mes déboires. Ils m’aident à transmettre ce que j’ai dans mon âme. Mon rapport avec la poésie est d’abord un rapport d’existence même. Nous sommes intimement liés. Si nous avons la chance d’avoir cet entretien aujourd’hui, c’est grâce à la poésie. C’est la poésie même qui m’a enfanté.

ELP : Plusieurs jeunes ici pensent que vous avez été professeur de littérature avant de devenir artiste. Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?
 
BIC : Je n’ai jamais été professeur de littérature. Toutefois, j’étais professeur d’anglais. J’ai étudié l’Interprétariat bilingue à l’Université Quisqueya. Les langues c’est mon domaine. C’est ce que j’ai toujours aimé dès mon enfance. J’ai enseigné l’anglais pendant sept ans tant au niveau classique qu’au niveau commercial. Mais depuis plusieurs années, je ne vis que de la musique. Je m’y sens parfaitement confortable. De plus, elle ne me donne pas le temps pour faire autre chose.

ELP : Vous n’avez donc aucune autre occupation ?

BIC : Non. La musique est tellement complexe et demande tellement de boulots. Quand on veut le faire avec brio on ne peut surement pas l’associer à aucun autre métier. C’est dommage pour nos artistes haïtiens qui sont obligés de faire autre chose en parallèle. C’est vraiment dommage parce que cela ne devrait pas être ainsi. Se lever le matin, partir de rien pour créer une mélodie que tout le monde va chanter, cela demande du temps, de l’amour et de l’inspiration. Un boulot de 8h du matin à 4h de l’après-midi ne me le permettrait pas. Entre la fatigue la nuit et le manque de disposition, ma musique périrait. Ce n’est pas que je crache sur ma profession d’enseignant. Au contraire, je continue d’éduquer les gens à travers ma musique. Elle me permet d’atteindre un maximum de personnes. Ma salle de classe autrefois ne comportait qu’une trentaine d’élèves environ. Aujourd’hui celle-ci est plus vaste : c’est le monde entier. Si vous regardez bien dans mes morceaux, ce sont toujours les mêmes valeurs que j’enseignais à l’école : le respect de soi et l’amour du pays. Depuis 17 ans, personne ne peut oser dire qu’une seule fois j’ai dit ou chanté une phrase qui inciterait la jeunesse à la violence, la débauche, l’alcool et à la drogue.

ELP : Vous avez parlé tout à l’heure du temps que cela prenait pour faire de la musique. Cela n’a jamais affecté votre foyer ou entravé vos rapports avec la famille ?

BIC : Je fais partie des rares personnes qui savent dès le départ que BIC c’est l’artiste et Roosevelt Saillant le père de famille. Dans mon agenda, je fais la part des choses et je laisse de la place à Roosevelt Saillant d’exister. Dès que je ne travaille pas, je suis avec ma famille. Durant mon temps libre, je n’envisage même pas d’aller picoler avec des amis. Je reste à la maison avec ma famille. D’ailleurs, j’ai la chance d’avoir mon propre studio à la maison. Donc, il est facile pour moi de passer de BIC à Roosevelt Saillant. Je veille à ce que chacun de ces personnages restent à leur place. BIC permet à la maison de fonctionner mais il ne doit en aucun cas occasionner l’effondrement de celle-ci. Les rapports sentimentaux qui existent entre le mari, l’épouse et les enfants doivent toujours tenir en dépit de tout.

ELP : Est-ce que lors des déplacements, en tournée, cela ne dérange toujours pas la famille?

BIC : Je vous assure qu’un travail de 8h à 4h serait pire que ça. Moi mon bureau est chez moi. Les déplacements à l’étranger ne sont pas un problème. Contrairement à Haïti où l’on fait des activités n’importe quand, dans les autres pays, il y a un agenda des tournées. Prenons l’exemple du Canada, un pays où il fait extrêmement froid, les gens ont l’habitude d’organiser tous les grands festivals et les manifestations culturelles en été. Donc, dans mon agenda, ma famille sait déjà que les mois de juin et de juillet, c’est l’époque de la récolte, je dois me rendre au jardin. Et puis, généralement, les tournées ne durent pas plus de trois mois.

ELP : Les styles musicaux sont certes multiples en Haïti, mais de nos jours la jeunesse haïtienne a des penchants pour certains plus que d’autres notamment le « Raboday ». Quelle est votre position par rapport à ce style qui bat tous les records ? Et quelle place occupe votre musique selon vous parmi les jeunes ?

BIC : Vous connaissez déjà quelle place occupe ma musique, vous le voyez clairement. Malgré les diverses tendances, BIC reste BIC à parts égales. Le même type qui se raffole du « Raboday » ou du « Compas » adore aussi BIC. Si dans une zone on ne passe qu’une seule sorte de musique les jeunes n’ont relativement pas le choix. Mais il n’y a pas véritablement un public qui se dit du « Raboday » et un autre de BIC. Je suis l’artiste du peuple haïtien. Malheureusement, tous les jeunes ne parviennent pas à consommer divers styles musicaux et sont obligés de se gaver d’un seul. Le « Raboday » n’est qu’un style musical et rien de plus. On le critique alors que les africains l’adorent. Ce style musical très dansant subit malheureusement le poids des textes qui ne l’honorent nullement. Les jeunes adorent ce qui les fait bouger. La problématique ne réside pas dans le style mais dans le message qui y est véhiculé. Le « Raboday » n’est que le nom haïtien d’un style très populaire à travers le monde notamment chez les africains. En disant détester le « Raboday », c’est comme si je condamnais la salsa, le reggaeton ou le dancehall.

ELP : Donc, vous ne condamnez que les textes dénigrants qui y sont liés ?

BIC : Certainement. Prenons l’exemple de « Aba blabla » c’est du « Raboday ». Il a été convenu dès le départ de faire une musique très dansante pour démontrer que l’on peut élever le niveau du « Raboday » en Haïti. Si on n’essaie pas d’y apporter du mieux, il resterait dans son état macabre actuel sans pouvoir séduire certaines personnes.

ELP : Le choix d’une telle musique n’était pas innocent ?

BIC : Non. Pas du tout. On voulait prouver à tous ce que l’on pouvait faire avec ce style musical. Aujourd’hui, « Aba blabla » est diffusé à travers de grandes chaînes de télévisions internationales parce que non seulement le style musical est bien travaillé mais le texte est porteur d’un véritable message. Et puis, il n’y a pas que moi et J-Perry, Fresh de Vwadezil est aussi un excellent chanteur qui a fait de grandes choses dans le monde du « Raboday » tant par ses mélodies que par ses textes.

ELP : Depuis longtemps, au Cap-Haitien et un peu partout dans le Nord, pas mal de jeunes s’adonnent au monde culturel et font admirablement leur preuve. Prenons l’exemple d’Anténor Emmanuel qui vient tout juste d’enregistrer avec vous « Sa Bagay sa ye ?». Quel est votre message à tous ces jeunes qui intègrent un monde aussi difficile et si incertain que celui dont vous faites partie depuis 17 ans ?


BIC : Si aujourd’hui Anténor Emmanuel a pu se produire avec BIC c’est parce qu’il a fait un travail significatif et qui a du sens. Ce n’est pas parce qu’on a grandi dans le ghetto qu’on devrait produire n’importe quoi. Donc, j’ai chanté avec Emmanuel Anténor pour dire à tous les artistes du Cap, que le milieu, d’où vous provenez, la famille de laquelle vous êtes issu m’importe peu. C’est votre message qui m’intéresse. S’il peut être utile à Haïti, je l’encouragerai et on l’encouragera. 

© Entre Les Pages 

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