Propos recueillis par Jean Reynald Saint-Hubert et Ejymson Valmir
Crédit photo : Eric Andral AUGUSTE
Nahomy Grand'Pierre, cette jeune nageuse professionnelle veut construire des piscines en Haïti afin que les jeunes puissent pratiquer la natation et contribuer à créer une équipe Olympique haïtienne de natation. Dans une réunion publique qu’elle a organisée avec le soutien de « International Women of hope, Rose Brune », elle a fait part de ses ambitions aux personnes présentes. Elle croit en la force du nombre inspirée d’une volonté collective pour la concrétisation des projets. Déjà, elle nous invite à la rejoindre et à prendre part à une telle initiative qui sera bénéfique pour toute notre nation.
Née le 16 avril 1997, à Montréal (Canada), Nahomy Grand'Pierre est la première femme à représenter Haïti à l’épreuve de natation aux jeux Olympiques. Elle n’a que 20 ans. En 2016, aux jeux Olympiques de Rio, elle a terminé deuxième à l’épreuve de 50 mètres. Une prouesse qui a fait le bonheur de plus d’un en Haïti. Et depuis, la jeune Nahomy entre dans l’histoire et figure parmi les icones de cette nation, toujours en quête de ses génies à succès.
Entre Les Pages :Comment a
débuté votre aventure avec la natation?
Nahomy Grand'Pierre : Tout a commencé avec trois
cousines de ma mère qui sont mortes noyées parce qu’elles ne savaient pas
nager. Puis, un jour, j’étais allée dans une fête, ma mère, voyant mes difficultés
dans l’eau, décide de nous inscrire, moi, mes deux frères et mes deux sœurs à
des cours de natation. Ce qu’elle fit effectivement huit jours plus tard. Au
début, c’était juste pour que nous apprenions à nager. Elle voulait simplement
nous sauver. Et c’est là que nous nous sommes mis à nous intéresser à la
compétition. Ce n’était plus seulement pour apprendre à nager. La natation est
devenue un sport très important dans notre famille. J’ai appris à nager aux
environs de 8 ou 9 ans. Et à 10 ans, j’ai commencé à participer aux
compétitions.
ELP : Comment a été votre
expérience aux jeux Olympiques de Rio alors que avez fini deuxième à l’épreuve
de 50 mètres ?
NGP : C’était pour moi une expérience très
émotionnelle parce que c’était un rêve que je nourrissais déjà, représenter
Haïti pour la première fois dans quelque chose qui était nouveau. Il y avait
beaucoup de pressions. J’étais nerveuse. Mais tout s’est, à peu près, bien
passé pour moi. Mon but était de terminer première dans ma catégorie car je
savais que quand vous terminez premier, deuxième ou troisième votre drapeau
apparaitra dans le grand écran. J’ai représenté Haïti et je voulais que tout le
monde puisse voir le drapeau haïtien partout. C’était pour moi un moment de
grande fierté. Je pense que j’ai bien fait. C’étaient mes premiers jeux
Olympiques ; je continue à m’entrainer. Je vais participer au championnat
du monde à Budapest en juillet. J’espère qu’avec les entrainements, je pourrai
aux prochains Jeux Olympiques qualifier pour les demi-finales, la finale,
améliorer ma performance et faire mieux que ce que j’ai fait l’année dernière.
ELP : Comment a été le
processus de sélection ?
NGP : Aux
Etats-Unis, j’avais le rêve depuis longtemps de participer aux Jeux Olympiques
puis quand j’en ai parlé avec mes parents, ils m’ont dit pourquoi ne pas
participer pour Haïti ? Mais Haïti n’avait pas d’équipe de natation.
J’ignorais totalement comment on allait faire ça. Alors ma mère a contacté sa
famille en Haïti pour savoir ce qu’on fait en Haïti pour la natation. Il y
avait déjà une fédération haïtienne et un athlète, un homme, Marc Dorsainvil,
le seul qui nageait pour Haïti. Puis on a commencé à discuter, j’ai manifesté
mon souhait de nager moi aussi pour Haïti et aussi voir comment développer ce
sport dans le pays. Moi j’ai le privilège d’être aux Etats-Unis, d’avoir accès
aux piscines de sport, à une équipe de natation alors qu’il n’y en a pas en
Haïti. Si la fédération et moi pouvons travailler ensemble, elle peut m’aider à
représenter Haïti aux Jeux Olympiques mais aussi grossir l’équipe de natation. Il
n’y avait que deux athlètes dans l’équipe ; en à peine six mois, celle-ci
compte près de 7 qui sont enregistrés pour nager pour Haïti. Déjà on fait beaucoup de
progrès. Et c’était cela mon but. Ce n’était pas seulement de représenter Haïti
aux Jeux Olympiques mais aussi de faire progresser la natation comme sport dans
le pays.
ELP : Dans le contexte
haïtien actuel, comment un jeune peut pratiquer le sport de natation ?
NGP : On vit
sur une île, il y a pleins d’eaux, il y a des piscines alors que la majorité
des haïtiens ne savent pas nager. Le problème, c’est qu’aujourd’hui la natation
est comme un sport de luxe en Haïti. Ce sont pour la plupart les hôtels qui ont
des piscines ou les gens fortunés qui en ont chez eux. Ce ne sont pas des
piscines dont tout le monde a accès. Et puis les piscines qu’on a ne sont pas
adaptées au sport de la natation avec une longueur considérable. On a besoin de
piscines de 25 mètres, 50 mètres de long. Quand je m’entraine dans les petites
piscines, je ne trouve pas la distance dont j’ai besoin et du coup, je passe
complètement à côté de l’entrainement. Donc, même s’il y a des jeunes en Haïti
qui veulent nager ou pratiquer la natation, il y a d’énormes travaux à faire.
Si vous regardez les athlètes qui représentent Haïti dans les jeux Olympiques,
vous verrez que ce sont pour la plupart des Haïtiens vivant à l’étranger. Car
c’est seulement ailleurs qu’ils trouveront ce dont ils ont besoin pour se
perfectionner. Je trouve que c’est un véritable problème. Si nous sommes
vraiment fiers de notre pays, nous devrions être capables d’envoyer aux Jeux
Olympiques tous nos athlètes. Or, il n’y a même pas de piscine pour les
entraîner.
ELP : D’où cette idée de
créer ce centre sportif en Haïti ?
NGP :Oui
ELP : Est-ce que vous
pouvez nous résumer ce projet ?
NGP : Déjà à Port-au-Prince, il existe
un centre sportif avec un terrain de course, un terrain de basket-ball, de
volleyball ; il y a beaucoup de terrains mais il n’y a pas de piscines.
Seulement à Carrefour, il y a une piscine de 50 mètres inutilisée, sans eaux et
abandonnée. J’essaie de visiter Haïti, de rencontrer les gens, de leur parler
pour voir ce que nous pouvons faire pour vraiment changer cela. J’ai comme but
de créer une fondation qui pourra rentrer en relation avec les organisations
haïtiennes. Ainsi, chaque organisation versera un peu d’argent afin decommencer
avec la construction de piscines en Haïti. Si nous attendons le
gouvernement, nous ne le ferons jamais, nous ne pouvons attendre la fédération
car elle n’a pas d’argent. Donc, c’est une question de fonds. Nous avons déjà
la permission du Ministère des Sports pour rénover la piscine de Carrefour mais
il nous manque l’argent. Il faut que chacun y mette du sien. Lorsqu’il me
fallait aller aux jeux Olympiques, il n’y avait pas d’argent, moi-même je
n’avais pas d’argent et je devais voyager en Roumanie, à Bahamas, pour pouvoir
me qualifier pour la compétition. J’ai appris que c’est l’union qui fait vraiment
la force. Je ne blague pas ; des gens de Montréal, d’Atlanta, d’Haïti,
beaucoup de mondes sont venus m’aider. Moi seule, je ne pourrais jamais faire
ça. Je pense que nous pouvons faire la même chose pour pouvoir construire les
piscines en Haïti. Chacun va mettre ce qu’il a et ainsi nous arriverons à une
somme considérable pour lancer le projet.
ELP : C’est un projet d’une
très grande ampleur. Ce ne sera pas une mince affaire de construire des
piscines un peu partout dans le pays. Cela va exiger des coûts considérables. Quels
sont les enjeux d’un tel projet ?
NGP : Quand on a de gros projets, on
commence maigrement pour pouvoir progresser ensuite. Nous avons déjà la
permission de rénover la piscine de Carrefour. On peut dire que c’est déjà une
grande avancée bien que le reste du projet en soi est encore plus vaste et plus
coûteux. On commence à Carrefour car il
y a déjà une piscine la bas et ensuite, on continuera au Cap-Haitien, à Saint-Marc,
à Pestel et ainsi de suite. Tout cela ne se fera pas en un jour. J’ai déjà aidé
7 athlètes à intégrer l’équipe nationale. Ce sont des petits pas que nous
faisons pour pouvoir faire les grands pas ensuite. Il ne faut pas regarder les
gros projets et se décourager. Les objectifs à courts termes favorisent ceux à
long termes. J’ai pas mal d’objectifs à courts termes. Par exemple, je souhaite
qu’aux prochains Jeux Olympiques je ne sois pas la seule femme à représenter
Haïti. Il faut au moins 4 autres filles avec moi pour aller là-bas. Celui-ci,
c’est un petit projet dans tout ce que j’essaie de faire.
ELP : Est-ce que vous avez
déjà au moins répertorié les lieux d’emplacements de ces piscines de 50
mètres ? Prenons l’exemple du Cap-Haitien.
NGP :Non. Pas encore. C’est pour la
première fois que je viens ici, au Cap-Haitien. On commence avec les
discussions pour voir ce qu’on peut faire. Ce qui est vraiment important, c’est
la relation avec les personnes. On a un meeting avec des gens du Cap, les grands noms de la ville et autres. Quand les
organisations seront là, j’utiliserai ces relations pour pouvoir continuer le
processus. Donc, ma visite au Cap-Haitien est un premier pas pour le
développement du sport dans la ville.
ELP : Comment trouvez-vous
votre séjour à Cap-Haitien ?
NGP :Bon, je suis très contente
d’être ici. C’est pour la première fois car mes parents viennent du Sud. C’est
magnifique. Il y a beaucoup d’endroits historiques à Cap-Haitien. On va aller à
la Citadelle, à Chouchoubay, à Labadee, on fait un peu de tourisme.
ELP : Comment êtes-vous
parvenue à organiser cette réunion avec les gens ?
NGP :C’est par mon contact avec
« International Women of Hope, Rose Brune ». C’est elle qui m’a aidée
avec les invitations car je ne connaissais pas les gens.
ELP : Vous êtes déjà
rentrée dans l’histoire. Les gens vous admirent pour votre talent. Que diriez-vous
aux autres jeunes filles qui envisageraient de pratiquer la natation ?
NGP : Ce que je dirais à tous les
athlètes mais spécialement les filles, c’est que bien que nous essayons
d’apporter les choses pour eux, il faut quand même utiliser les ressources que
nous avons maintenant, faire avec ce que nous avons car c’est la meilleure
façon de commencer. Si je regardais ce que je n’avais pas je n’irais jamais aux
Jeux Olympiques. J’aurais dit que c’était impossible. Or, rien n’est
impossible. Je les conseille tous d’utiliser ce qu’ils ont maintenant et au fur
et à mesure nous pourrons faire de grandes choses pour Haïti.
@Entre
Les Pages
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