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Le temps des désillusions

Il y’a de cela quelques jours, je suis entré dans l’un des bars de la ville pour prendre une bière et j’ai ouvert un roman d’Emmelie PROPHETE, Le bout du monde est une fenêtre, un titre qui dévoile la vie dans sa dignité, sa sensualité, mêlées à un certain gêne, tant que la misère peinte est atroce. L’amour, l’amitié, la démence, on aurait dit que tout, même le monde, se voit rien qu’à travers une fenêtre. Bref, je ne sais non plus quelle coïncidence ait pu relier le contenu du livre à la table de mes voisins que je suis venu trouver en train de bavarder.

Dans mon champ de vision, il y’a deux hommes qui, visiblement, se moquent de déranger les autres tant qu’il est encore temps de partager leur déboire, de raconter leur sort. L’un des types, a l’air plus jeune, il boit moins et parle plus et l’autre semble friser la soixantaine. Celui-ci boit beaucoup et parle moins, détourne le regard vers une fenêtre comme s’il observait un navire naviguer au loin ou du moins un oiseau battre ses ailes. Il a la tête dans les nuages, aurait-on dit.

La conversation est enflammée. Selon le bavard, le gouvernement est corrompu, pourri jusqu’aux os et la cote de popularité du président Rose n’est pas à la plus haute barre de l’échelle, une façon de dire qu’il sera bientôt en chute libre si rien est fait. D’ailleurs, le Cap a un peu boudé sa venue, ville dont les ordures restent le plus grand défi. Je m’accroche un peu plus pour entendre quelques bribes de la conversation.

Paul le bavard dit:
-Tu sais Émile, la banane n’a été que de la propagande. On raconte que dans un premier temps, le Venezuela a signé un accord avec l’ancien président Rose et après! nous voilà avec la banane, impossible de l’ingurgiter. Je ne regrette pas de n’avoir pas été voter ces malfrats, ils sont tous de la même étoffe, des corrompus et des menteurs. Après « Tèt Kale », l’homme au crâne rasé, je me suis dit : plus jamais je me salirai les doigts. Je ne leur fais plus confiance.
Le taciturne Émile répond:
- Écoute Paul, seul Dieu pourrait faire quelque chose, les dernières élections nous ont pas apporté de meilleurs candidats que celui-là.
- Le fils ou petit fils, je ne sais quoi, de Dessalines disait vrai la plupart du temps.
- Tais toi Paul, ne me parle plus de lui. Tu me mets hors de mon état. On se rappelle de ses « Briganday ». Je ne pourrais plus supporter qu’on empêche mes enfants d’aller à l’école un jour.
- Je pense à partir Émile
- Paul, dis pas de bêtise
- J’envisage sérieusement de partir Émile
- T’as une femme et des enfants Émile, fais pas de conneries. Si tu pars, qui va en prendre soin. J’ai perdu ma femme, maintenant je me bats pour mes enfants. Tu devrais, toi aussi.
- T’as raison mon vieux mais ça reste une option. Mais le pays ne donne plus d’espoir. Pardonne-moi, mais il me dégoûte. On croyait que cela allait changer Émile, il y’a environ sept ans de cela mais rien a changé. Le peuple a même investi le béton. L’inflation grimpe jusqu’ici. Là où je travaille les autres nations ont tellement de mépris pour nous autres Haïtiens. Émile, tu y crois toujours.
- Quoi ?
- Le pays
- Oui, on a pas vraiment le choix Paul. Faut partir maintenant. Tu pais.

NB : Ces propos ne sont pas fictifs mais ils n’engagent que l’auteur et les noms des personnages sont choisis au hasard.

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