La
signification des mouvements populaires du 7 juillet ne doit pas se laisser
interpréter selon le caprice de certaines minorités nationales qui sont elles-mêmes
une partie du statu quo contre qui la masse est plus que jamais déterminée à se
battre. Ni par la presse qui proccède le plus souvent à des analyses
tendancieuses. Il faut que sociologues, politologues et historiens se mettent
au travail pour une approche plus ou moins objective cette situation. Ce ne fut
pas, comme certains veulent le faire croire, une lutte pour la baisse des prix
du Carburant. Au contraire, 7 juillet, pour mieux l’appréhender, doit se placer
dans son contexte social, politique et historique plutôt que dans un simple
cadre conjoncturel.
Le seul aspect conjoncturel que nous pouvons attribuer à
la hausse exagérée et irréfléchie des prix du Carburant constitue l’élément
déclencheur indispensable qui devait accoucher sans toutefois justifier ces
vagues de protestations populaires. Ainsi, nous devons retenir 2 facteurs
explicatifs– si ce n’est que trois –qui justifient la sortie de la population
dans différents endroits du pays et plus précisément dans la capitale pour
s’exprimer une fois de plus, mais cette fois-ci avec colère, contre les dérives
d’un système politique au service d’une Classe dite « bourgeoise »
(i) au détriment d’une autre dite« appauvrie » (ii).
-l’explication
sociale
Sur le plan social, les événements du 7 juillet traduisent
les conditions infrahumaines dans lesquelles vit la masse en Haïti. Ces
conditions sont autant d’inégalités entre les riches qui deviennent de plus en
plus riches et les pauvres qui s’enfoncent de plus en plus dans la misère. À ce
point, l’expression populaire a notifié au système la nécessité d’une
redistribution de la richesse du pays qui ne peut plus appartenir aux seuls
nantis. Ils ont envoyé le message que Lyonel
Trouillot exprime en ces termes « à l’occasion d’une bêtise décrétée
par un pouvoir indifférent à leurs problèmes concrets, ce que les gens ont
acté, c’est le raz-le bol d’un ordre qui les déshumanise. L’ordre social
inhumain qui a perduré jusqu’ici ne plus durer ».En outre, c’est le préavis que
la tyrannie de l’insouciance (iv), pour reprendre les mots de Géraldo Saint Armand, traduit par
l’absence de l’état dans les zones populaires de manière réelle doit
prendre fin et que cette fin ne dépend pas de la volonté de l’oligarchie mais
du peuple lui-même qui se battra par tous les moyens pour la concrétiser.
Ainsi, si les gens ont fait une simulation de partage
autoritaire en faisant irruption dans quelques magasins de la capitale, ceci
n’est pas un vol. C’est le cri et un geste symbolique pour dire qu’ils en ont
assez d’un Etat déchu incapable de satisfaire leurs besoins et qu’ils
s’apprêtent à se comporter en peuple souverain, c’est-à-dire prendre en main
son destin face à un Etat irresponsable. Et là nous pouvons en conclure que le
carburant n’est pas à l’heure actuelle la revendication de la population
haïtienne. D’ailleurs, pour répéter AnneMerline
Eugene « Avec ou sans le carburant, les rapports sociaux en Haïti
demeurent très flammables ».
-L’explication
politique
Sur le plan politique, la population demande des comptes
des luttes anti-duvaliéristes qui ont permis de vaincre la dictature au profit
d’un système dit démocratique. Cette démocratie traduisant en 1990 non
seulement le droit à la liberté d’expression mais aussi l’espoir d’un peuple
assoiffé de changement. Et Si en1990 les Lavalas s’avèrent impuissants et
incapable de porter sur un nouveau jour les revendications de la masse, plus de
25 ans plus tard aucun gouvernement a su faire la différence. Donc, l’Etat
post-86 a échoué dans ce qui relève de son rôle de la bonne gouvernance. 7
juillet dévoile et conteste la politique de jouissance mis en place par un
système qui ne pense qu’à s’enrichir au détriment de la classe oubliée. Ce jour
traduit, pour parler comme Gary Victor : « la
colère de la population face à l’arrogance des dirigeants qui ne pensent qu’à
jouir de privilèges auxquels d’ailleurs ils n’ont pas droit alors que la
population croupit dans la misère ».
En criant « fòk Jovenel ale », ils n’ont pas
parlé à Jovenel en tant qu’individu. Pas même en tant que président. C’est de
préférence au système lui-même qu’ils s’adressent. Ils annoncent la fin de
l’Etat Bourgeois. C’est-à-dire que ni ceux qui sont au pouvoir ni ceux qui,
depuis 25 ans, pratiquent la politique d’ôte-toi de là que je m’y mette. On
doit comprendre ici que la question d’opposition politique n’a plus sa place
puisque cette dernière elle-même est une partie du problème et fait partie
intégrante du système corrompu de près ou de loin.
Ceci dit, la frappe du 7 juillet signifie la
non-reconnaissance de l’état actuel. Le fameux « nou pale mw tande» (v) du
président de la république traduit cette non reconnaissance, en ce sens qu’il
prouve le caractère inverse de l’ordre politique, c’est maintenant le
gouvernement qui est dirigé par le peuple et non le contraire. Et, du point de
vue démocratique ce serait le retour au vrai ordre dans la mesure où l’Etat
doit être au service du peuple et non contre lui. C’est-à-dire que
« l’état marron » (vi) dont parle Leslie
Péan doit revenir et que les décisions politiques doivent être au service
de la satisfaction des besoins sociaux de base de la population.
En définitive, à chaque fois qu’il convient d’expliquer
et de comprendre le 7 juillet dans l’histoire politique haïtienne, il faut
prendre en compte l’aspect social et politique qui a conduit le soulèvement
populaire et non le réduire à une simple question de carburant. Ce faisant,
nous pouvons aller plus loin et porter les réformes en profondeur qui
s’imposent dans l’ordre social, politique et économique en Haïti.
Bell Richemond
Etudiant en science
politique à l’UEH
13-07-18
i-
La
classe qui possède presque toutes les richesses du pays sans aucun désir de
redistribution
ii-
Pour
ne pas dire ‘’pauvre’’ puisque cette classe est exploitée et mis en état de
pauvreté par le système.
iii-
Ahhcaa
ira…ou pas, un texte de Lyonel trouillot
iv-
Geraldo
Saint-Armand, La Tyrannie de l’insousciance, Port-au-Prince, Ruptures, 2017
v-
Phrase
prononcée par le président Jovenel Moise le dimanche 08 juillet 2018 à
l’occasion d’une adresse à la nation
vi-
Leslie
Péan, L’Etat marron,tome II
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