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« 7 juillet 2018 » n’a pas été un vol mais un geste symbolique, selon Bell Richemond


La signification des mouvements populaires du 7 juillet ne doit pas se laisser interpréter selon le caprice de certaines minorités nationales qui sont elles-mêmes une partie du statu quo contre qui la masse est plus que jamais déterminée à se battre. Ni par la presse qui proccède le plus souvent à des analyses tendancieuses. Il faut que sociologues, politologues et historiens se mettent au travail pour une approche plus ou moins objective cette situation. Ce ne fut pas, comme certains veulent le faire croire, une lutte pour la baisse des prix du Carburant. Au contraire, 7 juillet, pour mieux l’appréhender, doit se placer dans son contexte social, politique et historique plutôt que dans un simple cadre conjoncturel.

Le seul aspect conjoncturel que nous pouvons attribuer à la hausse exagérée et irréfléchie des prix du Carburant constitue l’élément déclencheur indispensable qui devait accoucher sans toutefois justifier ces vagues de protestations populaires. Ainsi, nous devons retenir 2 facteurs explicatifs– si ce n’est que trois –qui justifient la sortie de la population dans différents endroits du pays et plus précisément dans la capitale pour s’exprimer une fois de plus, mais cette fois-ci avec colère, contre les dérives d’un système politique au service d’une Classe dite « bourgeoise » (i) au détriment d’une autre dite« appauvrie » (ii).

-l’explication sociale
Sur le plan social, les événements du 7 juillet traduisent les conditions infrahumaines dans lesquelles vit la masse en Haïti. Ces conditions sont autant d’inégalités entre les riches qui deviennent de plus en plus riches et les pauvres qui s’enfoncent de plus en plus dans la misère. À ce point, l’expression populaire a notifié au système la nécessité d’une redistribution de la richesse du pays qui ne peut plus appartenir aux seuls nantis. Ils ont envoyé le message que Lyonel Trouillot exprime en ces termes « à l’occasion d’une bêtise décrétée par un pouvoir indifférent à leurs problèmes concrets, ce que les gens ont acté, c’est le raz-le bol d’un ordre qui les déshumanise. L’ordre social inhumain qui a perduré jusqu’ici ne plus durer ».En outre, c’est le préavis que la tyrannie de l’insouciance (iv), pour reprendre les mots de Géraldo Saint Armand, traduit par l’absence de l’état dans les zones populaires de manière réelle doit prendre fin et que cette fin ne dépend pas de la volonté de l’oligarchie mais du peuple lui-même qui se battra par tous les moyens pour la concrétiser.

Ainsi, si les gens ont fait une simulation de partage autoritaire en faisant irruption dans quelques magasins de la capitale, ceci n’est pas un vol. C’est le cri et un geste symbolique pour dire qu’ils en ont assez d’un Etat déchu incapable de satisfaire leurs besoins et qu’ils s’apprêtent à se comporter en peuple souverain, c’est-à-dire prendre en main son destin face à un Etat irresponsable. Et là nous pouvons en conclure que le carburant n’est pas à l’heure actuelle la revendication de la population haïtienne. D’ailleurs, pour répéter AnneMerline Eugene « Avec ou sans le carburant, les rapports sociaux en Haïti demeurent très flammables ».


-L’explication politique
Sur le plan politique, la population demande des comptes des luttes anti-duvaliéristes qui ont permis de vaincre la dictature au profit d’un système dit démocratique. Cette démocratie traduisant en 1990 non seulement le droit à la liberté d’expression mais aussi l’espoir d’un peuple assoiffé de changement. Et Si en1990 les Lavalas s’avèrent impuissants et incapable de porter sur un nouveau jour les revendications de la masse, plus de 25 ans plus tard aucun gouvernement a su faire la différence. Donc, l’Etat post-86 a échoué dans ce qui relève de son rôle de la bonne gouvernance. 7 juillet dévoile et conteste la politique de jouissance mis en place par un système qui ne pense qu’à s’enrichir au détriment de la classe oubliée. Ce jour traduit, pour parler comme Gary Victor : « la colère de la population face à l’arrogance des dirigeants qui ne pensent qu’à jouir de privilèges auxquels d’ailleurs ils n’ont pas droit alors que la population croupit dans la misère ».

En criant « fòk Jovenel ale », ils n’ont pas parlé à Jovenel en tant qu’individu. Pas même en tant que président. C’est de préférence au système lui-même qu’ils s’adressent. Ils annoncent la fin de l’Etat Bourgeois. C’est-à-dire que ni ceux qui sont au pouvoir ni ceux qui, depuis 25 ans, pratiquent la politique d’ôte-toi de là que je m’y mette. On doit comprendre ici que la question d’opposition politique n’a plus sa place puisque cette dernière elle-même est une partie du problème et fait partie intégrante du système corrompu de près ou de loin.

Ceci dit, la frappe du 7 juillet signifie la non-reconnaissance de l’état actuel. Le fameux « nou pale mw tande» (v) du président de la république traduit cette non reconnaissance, en ce sens qu’il prouve le caractère inverse de l’ordre politique, c’est maintenant le gouvernement qui est dirigé par le peuple et non le contraire. Et, du point de vue démocratique ce serait le retour au vrai ordre dans la mesure où l’Etat doit être au service du peuple et non contre lui. C’est-à-dire que « l’état marron » (vi) dont parle Leslie Péan doit revenir et que les décisions politiques doivent être au service de la satisfaction des besoins sociaux de base de la population.

En définitive, à chaque fois qu’il convient d’expliquer et de comprendre le 7 juillet dans l’histoire politique haïtienne, il faut prendre en compte l’aspect social et politique qui a conduit le soulèvement populaire et non le réduire à une simple question de carburant. Ce faisant, nous pouvons aller plus loin et porter les réformes en profondeur qui s’imposent dans l’ordre social, politique et économique en Haïti.

 CP: Lemonde.fr

Bell Richemond

Etudiant en science politique à l’UEH

13-07-18


i-                     La classe qui possède presque toutes les richesses du pays sans aucun désir de redistribution

ii-                   Pour ne pas dire ‘’pauvre’’ puisque cette classe est exploitée et mis en état de pauvreté par le système.

iii-                Ahhcaa ira…ou pas, un texte de Lyonel trouillot

iv-                Geraldo Saint-Armand, La Tyrannie de l’insousciance, Port-au-Prince, Ruptures, 2017

v-                  Phrase prononcée par le président Jovenel Moise le dimanche 08 juillet 2018 à l’occasion d’une adresse à la nation

vi-                Leslie Péan, L’Etat marron,tome II

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