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Chronique " Haiti et ses milieux-3": Le banditisme et la politique


La sphère de la criminalité n’est pas un espace isolé, renfermé sur lui-même. Elle s'identifie par rapport aux autres champs en ce que les objectifs et les finalités qui les caractérisent ne sont pas les mêmes. Toutefois, c'est la structuration de ces différentes sphères qui constituent la société. Ce qui permet au champ de la pègre de s'identifier, c’est l’important édifice pénal visant à le combattre. Outre cette opposition limitant les frontières de ces deux milieux, le monde de la pègre entretient des relations avec les autres champs de la société. 

En effet, comme nous pouvons le constater, nous avons vu plus haut que les individus qui acceptent de jouer le jeu de la criminalité, se livrent dans une lutte pour s'imposer et par là, jouir le privilège qui en découle. Ils parviennent en élargissant leurs zones d'influence à créer leur juridiction criminelle, c'est-à-dire de vastes territoires qu'ils contrôlent par la mise en place d'un réseau de rançonnage sur toutes les activités de la zone. Plus les territoires contrôlés  deviennent plus importantes, plus leurs champs d'intervention s'étendent. Ils deviennent par conséquent des élites criminelles avec qui il faut conjuguer pour la réalisation des évènements de grande envergure comme les élections, par exemple. C'est là, un ressort de leur pouvoir. Les territoires qu'ils contrôlent constituent une certaine manière leur véritable monnaie d'échange. 

“La politique constitue déjà la seule sphère de valorisation de la société” nous a fait remarquer le professeur Alain Gilles dans un article publié en 2015. Etant le seul espace capable de nous assurer une vie plus ou moins décente. Il est donc normal d'assister à une affluence vers ce secteur. La pratique politicienne dans une société comme la nôtre implique la négociation avec les secteurs qui ont réellement du pouvoir (le secteur des affaires, les cartels de gang, la communauté internationale) en Haïti. En fait, lors des campagnes électorales, notamment dans les zones métropolitaines, certains candidats  sont contraints de négocier l'accès dans certains quartiers populaires. Se faisant, les bandits ont fini par instituer un marché dont ils ont le monopole. Ce ne sont pas les politiciens ou les hommes d'affaires qui dictent les règles de ce marché comme on serait tenté de le croire. Ces derniers sont le plus souvent contraints de s'engager dans ces activités de transactions souterraines. Déjà en quête de pouvoir, les quartiers populaires sont une manne électorale, il devient alors une nécessité pour les candidats de les conquérir, peu importe le prix à payer. C'est à ce niveau que l'expression populaire: «se lajan ak zam ki fè eleksyon an ayiti» prend tout son sens.Plus les prétendants aux postes électifs s'obstinent aveuglement vers la conquête du pouvoir; mis à part les dépenses astronomiques en matière de publicité, plus il faut également une petite fortune pour gérer les cartels de gangs des quartiers populaires ; plus les canaux de l'insécurité, de la violence se trouvent irriguer en conséquence.  

Enfin, c'est  un véritable marché où les élites criminelles échangent les territoires sous leur contrôle contre l'argent des candidats. Pire encore, cela peut parfois tourner sur un conflit ouvert quand plusieurs groupes gangs rivaux discutent un même territoire. Vu sous cet angle,  les élites criminelles constituent l'un des acteurs incontournables dans la réalisation des élections en Haïti.

CP: Loop Haiti

Bibliographie 

Durkheim, Emile.Le crime, phénomène normal. In: déviance et criminalité. Textes réunis. Paris, Armand Colin, 1894. 
Sutherland, Edwin. ‘’Principles of criminology", the university of Chicago press, 1924. (Version éléctronique) 
Abélès, Marc. ‘’Anthropologie de la globalisation", éditions Payot et Rivages, Paris, 2008 
Pierre, Bourdieu. "Méditations pascaliennes", Paris, Seuil, Coll. Libres, 1997, 316 P. 
 Giorgio, Agambens. Homo Sacer, I: le pouvoir du souverain et la vie nue, Paris, Seuil, 1997 
Corten, André. " Valeurs sociales et économies au seuil de la croissance ". Paris/Louvain, les éditions Nauwelarts, 1967, 233. Pp (version électronique) 
 P. G. Schmidt. "A la recherche, d'une définition de la Magie «Source: Anthropos, Bd. 8, H. 4. /5. (Jul. - Oct., 1913), pp. 883-885 (version éléctronique) 
Gilles, Alain. " Pourquoi tant partis politiques? Et à quoi ils sont utiles"  in: Haiti Perspective, vol.4.no3. Automne 2015. 

Auteur : 
Charles Richard 
Patrice Lovenord Joanel 
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