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La rentrée scolaire en Haiti: un interminable casse-tête


Alors que le pays s'enfonce de plus en plus dans un obscur et amer climat d'existence conditionnant sa sombre survie, les regards et pensées pessimistes autour de son avenir incertain en valent vraiment la peine, vu que chacun doit encore continuer à remuer ciel et terre pour résister aux lourds fardeaux quotidiens que nous impose la rude et brûlante réalité socio-économique.

Prévue pour le premier Lundi de Septembre, la rentrée scolaire pour l'année académique 2018-2019 dessine déjà une humeur désespérante sur le visage de beaucoup de parents, d'élèves, voire de professeurs. À cause de la précarité économique, maints parents voient cette rentrée comme une utopie. La misère, la hausse des prix des produits, des frais d'écolage exagérés, les embarras pécuniaires et tant d'autres motifs viennent s'ajouter aux tristes affirmations, témoignages et cris de ces victimes de l'instabilité du système en place et de la coupable irresponsabilité de nos acteurs politiques, nos élus, nos dirigeants ; en d'autres termes, de nos représentants.

Ayant pour la plupart une famille de plus de deux enfants à gérer, et que parfois le mieux à faire est de sacrifier quelques-uns, « fè yo fè ane a chita » (c'est-à-dire, de les obliger à rater l'année scolaire ), afin qu'un ou deux d'entre eux puissent obtenir la chance de s'y rendre, vu les faibles revenus dont disposent ces parents ; ces derniers attendent toujours que les supports promis par l'État, comme les subventions et la distribution de Kits scolaires, soient effectifs et effectués dans des délais plus ou moins accélérés;  quoique bien d'autres demeurent plutôt sceptiques sur ce sujet car, d'après eux, l'État ne fait que les tourner en rond, annuellement, comme à son habitude, et que les programmes d'aide mis en place se transforment le plus souvent en une forme discrète et précoce de campagne électorale dont profitent sénateurs, députés et aspirants candidats à des postes communaux, pour ne citer que ceux-là.

Ne pouvant s'efforcer de cacher leur mécontentement et leur désespoir, ils se résignent à confier leurs doléances partout ils passent, à des amis et même à des inconnus attentifs, bien que cela ne changera rien à leur situation, car c'est tout un chacun qui se plaint de la rudesse de la vie. Que dire de ceux dont la routine se réduit à la ma mendicité même?

« J'ai quatre enfants dont un bébé de sept mois que j'allaite, mon mari n'a actuellement pas de travail. Que puis-je faire? L'école frappe déjà à nos portes, non? Et j'ai même pas encore pris le bulletin de ma fille aînée [...]. À chaque fois que j'y pense, c'est comme si un poignard me perçait les entrailles. C'est pénible pour nous ; rester ici ne nous arrangera rien. La vie dans ce pays est un enfer pour beaucoup, comme pour nous. Parfois on se dit que partir ailleurs, soit en république voisine, serait mieux. Mais nous avons peur d'y être maltraités, alors nous persévérons ici... » lamentait une jeune marchande de friperie, à l'idée d'envoyer ses enfants à l'école cette année-ci.

En ce qui concerne les élèves, les incertitudes de certains se traduisent parfois en pur pessimisme. Comme d'habitude, la très grande majorité d'entre eux ne reprendront pas le chemin de l'école le jour même de sa réouverture. Pas encore de livres, de chaussures, de fournitures adéquates et même d'uniformes sont des causes de préparations avortées qui viennent aggraver la donne et s'accumuler ainsi sur tant d'autres, telles : bulletin scolaire pas encore récupéré à cause d'un reliquat dû et frais de réinscription non payés. En outre, avec cette affaire de « Nouveau Secondaire » qui devient un centre de profit dans certains établissements et dont les directeurs ou responsables s'en servent pour se remplir grassement les poches, de nombreux élèves se plaignent encore plus des malheureuses contrariétés que cela apporte à débuter la scolarité à la date prévue.
C'est le cas de Benjamin (1), âgé de vingt ans et promu en Secondaire 2 : « Mon directeur a voulu que tout élève de ce nouveau cycle n'ayant pas eu le total ou la moyenne au dernier trimestre payent deux mille  (2000) gourdes pour la remédiation, et garantir ainsi sa place. Étonnamment, trois quarts (3/4) de nous (de S1 à la S3) se sont vus confrontés à cette éventualité. C'est pas juste! Moi, j'ai eu la moyenne aux deux premiers trimestres, et je suis confiant d'avoir bien composé à ce dernier...Eux, ils font tout pour soutirer de l'argent...[...]. Avec leurs semaines de réévaluation, mes petites activités de gain ont été handicapées. Je me  débrouille seul, en quelque sorte. De ce fait, je pense être capable de rejoindre l'école qu'en début d'Octobre... », se plaignent t-il.
 Alors qu'un grand pourcentage d'entre eux ne regagneront les bancs de l'école qu'en Octobre, comme à l'accoutumée, toutefois, une certaine minorité n'ira en classe qu'en Janvier ; fautes de disponibilités. Bref, un scénario répétitif. Les classes ne se remplissent jamais dès le premier jour ni dès la première semaine. En tout cas, cela n'a rien d'une prédiction à part qu'elle soit juste une réalité haïtienne bien connue depuis longtemps déjà et dont la situation n'a guère changé.

Bien qu'évidemment certaines écoles congréganistes et quelques écoles privées ouvriront impérativement leurs portes à la date fixée, d'autres se trouveront impliquées dans des complications d'ordre interne et externe au cours même de l'année académique. Par là, allusion est faite aux employés du secteur public qui n'ont pas encore reçus leur salaire, aux professeurs non nommés et/ou non payés qui continueront peut-être à protester si l'État, de son côté, reste sourd et aphone à cet égard. Mais avant tout, il faut que l'État comprenne que les enseignants sont des parents, donc des responsables de foyers, et que tout travail concerté effectué sans être obligatoirement rémunéré devient exploitation et irrespect de la personne en soi et de ses droits.

Après une année scolaire (2017-2018) mouvementée et instable, et avec des doléances encore insatisfaites, peut-on espérer une nouvelle année dans toutes ses bonnes et vives couleurs? Ou alors, devons-nous nous attendre à ce que les fortes agitations tournant toujours au détriment des élèves qui doivent malheureusement passer des jours blancs (sans profs, sans cours), pilotées par des enseignants mécontents, poursuivent de plus belle leur chemin?

L'éducation est la clé du succès, du développement et du progrès. Comment espérer un avenir meilleur si notre système éducatif est délabré, rempli de charlatans et d'imposteurs, et que l'éducation n'est pas pour nos dirigeants une priorité sociale?

Face à un tel système éducatif et une telle précarité économique, parents et enseignants doivent faire des sacrifices énormes pour garantir au mieux cette nouvelle année scolaire qui s'annonce déjà, afin que les enfants, l'espoir de demain, puissent accéder à une éducation de bonne qualité. L'État en a aussi son grand rôle à jouer puisqu'il est majoritairement responsable de cette triste situation.

1-      Droit de l’anonymat


Par : AZOR Hoang-Nghi

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