Jamais l’histoire de l’humanité n’a
été si singulière et changeante. Nous vivons à une époque où la mode est
rapidement démodée ; ce qui est prisé aujourd’hui, demain peut être vite
réprouvé. En Haïti, nul ne peut prétendre que
ce changement – si changement il y a –va pour le mieux. Le comble, c’est que nous
nous bornons davantage à nous réfugier derrière des réalisations bicentenaires au
lieu d’entreprendre au présent. Nous faisons donc face à une sorte de fierté
patriotique sans patriotisme. Je m’explique.
Parmi les plus chanceux d’entre
nous, nous avions juste appris durant l’enfance à admirer Toussaint,
Dessalines, Christophe et Pétion et ça s’arrêtait là. Toutefois, nous nous
souvenons de notre fierté qu’à des époques spécifiques. Et là encore, tout le
mérite revient aux jours de congés que cela nous procure. Parfois aussi
celle-ci revient quand nous subissons des attaques de l’extérieur (l’Affaire
Jennifer Delgado, l’Affaire Donald Trump). Au lieu de faire surgir des héros
vivants, nous cherchons à réveiller des héros morts.Comme l’a si bien dit
Spinoza : « Ni rire ni pleurer il faut comprendre ». En réalité,
nous avons hérité de cette lâcheté ou pire encore, on nous l’a octroyée à notre
insu.
Je serai toujours reconnaissant à
cette génération de 86 qui a soi-disant libéré le pays du joug de la dictature
au profit de la démocratie. La preuve, je peux aujourd’hui les fustiger dans
ces quelques lignes avec beaucoup moins de chance de me faire coffrer le
lendemain. Mais en termes d’actions concrètes, qu’en reste-t-il ? Quelle
société ont-ils créé ?
Moins de 2 % de la population
sont en mesure de consommer $10 par jour. Gaston Bachelard disait que :
« Rien n’est donné, tout est construit ». En effet, le développement
ne nous sera pas donné, c’est à nous de le construire. Cette construction,
c’est ce que nos vieux n’ont jamais réussi à concrétiser jusqu’ici. Pourtant,
ce sont eux qui occupent les plus hautes sphères de notre vie sociale. Ils sont
encore les décideurs de demain après trente années passées à nous rouler dans
la farine. Ils font et défont à leur guise, obstruant le plus que possible
notre futur. En 2008, le français Bernard Maris demandait : « Et si
les vieux étaient en train de réaliser le hold-up du siècle sur les
jeunes ? » ici en Haïti, la question ne se pose même plus. Comme si
l’avenir pourrait être dans le senior !
En Haïti aujourd’hui, plus de 30%
de la population active vit au chômage et 7 habitants sur 10 ont moins de trente
ans. Sommes-nous majoritaires?
Oui. Cette force vive que nous constituons, elle sert à quoi? Tous les ans, des
milliers de jeunes haïtiens sont diplômés dans des universités du pays ou à
l’extérieur. S’ils ne se font pas pistonner par un tiers pour décrocher un
emploi, de façons fortement douteuses, ils se vautrent dans l’oisiveté qui ne
les alarme nullement. Certains font le culte de la fatalité et crient sur tous
les toits qu’ils ne peuvent rien face à la conjoncture. Pardi, il y en a qui
cherchent encore en revendiquant une certaine morale qui pour plus d’un semble démodée.
Mais le système bâti par les vieux, entrave l’émergence sociale ou politique et
leur réussite ne voit que très rarement le jour.
Selon Pierre Raymond Dumas, en 2013, le niveau de
richesse d’un haïtien était inférieur à celui d’un haïtien des années
quatre-vingt. En trente ans, le niveau de richesse des haïtiens n’a fait que
diminuer. Ils ont tout fait pour que nous n’ayons jamais le peu qu’ils avaient,
ces vieux. En septembre 2016, nous avions 65,15
gourdes pour $ 1 alors qu’il était de 40 gourdes en 2009, soit une
augmentation de plus de 60 % en sept ans. Plus près de nous, le mois dernier,
$1 équivalait à 70 gourdes. Alors il est où le progrès? Sommes-nous complice? Aujourd’hui,
nous avons une jeunesse qui boite mieux que les vieux eux-mêmes. Ces derniers
disent que nous ne nous intéressons guère au sort de notre pays.
Je ne leur concède pas tout à fait cette remarque. Maintenant
nous voyons clair dans leur jeu. Nous commençons à ne plus avoir confiance en
leurs théories farfelues. La vague de protestations sur les réseaux sociaux que
ce soit les 6, 7 et 8 juillet ou encore depuis la vaste campagne visant à faire
la lumière sur la gestion des fonds de Petro Caribe depuis quelques semaines, montre
que nous faisons déjà sentir notre force. La preuve a été donnée ce 24 aout
2018 lors du sit-in où des vieux os de la politique ont été refoulés en voulant
s’en accaparer.
Voilà notre atout aujourd’hui : Nous savons. Nous
pouvons choisir pour nous-mêmes. L’heure n’est plus à l’exil. L’exil sous
toutes ces formes, intérieur ou extérieur. Fini ce temps où nous nous enfuyions
de cette terre qui nous est empruntée, cette terre que nous lèguerons ensuite à
nos enfants. Non seulement un idéal, nous devons aussi donner une fois pour
toutes des réponses aux questions que nous nous posons depuis plus de trente
ans. Point besoin de faire dans l’amalgame de répétitions futiles, tout le
monde les connait. Toutefois, je pousse mon impertinence à en poser une
seule : « Touche
plus à mon siècle » serait-ce le prochain slogan que tous devraient
scander à l’égard de ces hommes et ces femmes du siècle dernier afin de
rabattre le statu quo?
©Saint-Hubert
Jean Reynald
Étudiant
en Science Politique, L2
Excellent texte mon frère!
RépondreSupprimerJe viens de lire entre les lignes ce texte que tu as soigneusement écrit. Je crois que tu es l'un de ceux là qui poussent des cris contre l'inacceptable et qui croient qu'on doit faire quelque chose pour corriger les dérives.
Mais je me pose une question: sommes-nous du siècle dernier ou du 21ème siècle? Si je m'arroge un droit de réponse, je crois que nous sommes plus proche du siècle dernier par notre naissance.
Je m'attendais à cette question. En fait, je me suis permis de m'identifier au 21ème siècle puisque nous ne pouvions agir au 20ème. Par contre, nous ne pouvons agir que sur celui-ci. Et son avenir dépend de nous.
SupprimerMais normalement je fais plus référence à l'aspect symbolique du mot siècle.
SupprimerD'accord, mon frère.
SupprimerD'accord, mon frère.
SupprimerBon travail frère!
RépondreSupprimerMerci
RépondreSupprimerTouche pas à mon siècle!
RépondreSupprimerC'est comme un cri de coeur. Ces lignes sont profondes, bravo frère.
La prochaine fois, il serait bien d'ajouter en bas du texte les réferences des chiffres cités.
Encore 👏
Merci...Les remarques seront prises en comptes
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